Depuis le début des années 1970, le monde connait une recrudescence de flambées épidémiques due à des maladies infectieuses. En RDC, les premiers cas humains de Mpox en 1970, les premières épidémies de choléra en 1974, de la Maladie à Virus Ebola en 1976 que j’ai personnellement investiguées, marquent le début de cette nouvelle ère. Elle est marquée par des flambées épidémiques dont la complexité des modes de démarrage et de diffusion oblige à repenser nos approches de gouvernance dans la lutte contre ces importantes menaces de santé publique. Ce changement de paradigme ne pourra se faire que par le passage d’une approche classique, parfois trop réductionniste, à une approche holistique pour innover dans la lutte contre les maladies.
L’approche holistique, dite aussi One Health de la lutte contre les maladies, passe par la prise en compte des changements affectant notre environnement global. En effet, cette période de début des années 1970 qui marque le début des évènements épidémiques que nous gérons jusqu’à ce jour, est marquée aussi par des changements profonds affectant le climat et la biodiversité. Pour ce qui concerne la biodiversité le rapport Living Planet du WWF de 2020 indique qu’entre 1970 et 2016, l’abondance moyenne de près de 21 000 populations parmi près de 4400 espèces étudiées a diminué de 68%. Dans le même temps on a mesuré des taux d’extinctions d’espèces 100 à 1000 fois plus rapides que ceux connus des temps géologiques.
Aujourd’hui, un tiers de la superficie des terres est utilisé pour l’agriculture ou l’élevage, tandis que 75 % de l’eau douce disponible est destinée aux cultures ou au bétail. La surexploitation des forêts et des terres occupe la deuxième place tandis que le commerce des espèces sauvage est la troisième cause de leur déclin. Sur le plan du climat, l’accélération des changements des régimes climatiques, encore une fois mesuré dès les années 1970 a entraîné une augmentation globale des précipitations extrêmes à travers le monde, et aussi des périodes de chaleur et de sécheresse extrêmes avec un modèle de répartition spatiale spécifique. Sur le plan socio-économique et politique, la première moitié des années 1970 correspond au premier choc pétrolier dont les conséquences exacerbées par celles des crises plus récentes et celles suscitées (climat, biodiversité, écosystème, sanitaire) ont profondément affectées la résilience de nos sociétés faces aux problématiques de santé affectant les populations et les écosystèmes.
Face à ce tableau d’allure apocalyptique, la responsabilité des leaders politiques, sociaux et scientifiques est de proposer des perspectives de sortie à travers des initiatives innovantes. C’est dans ce cadre qu’en plus de nos investissements antérieurs à travers l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB), nous avons lancé en septembre 2014, le Master d’Ecologie des Maladies infectieuses, Aléas naturels et gestion des risques (ECOM-ALGER) à la faculté de médecine de l’Université de Kinshasa. Un des objectifs de la mise en place de cette formation multidisciplinaire était de pallier entre autres aux écarts constatés entre le profil des personnes œuvrant dans la lutte contre les maladies et les défis de terrain toujours plus complexes qui nous obligent à sortir de nos approches classiques mono-disciplinaires et hyperspécialisées.
En cette année 2024 qui couronne les 10 premières années de fonctionnement du Master ECOM[1]ALGER, c’est ici également l’occasion pour nous d’annoncer que dorénavant le Master ECOM-ALGER qui a fonctionné jusqu’ici au sein du département des sciences de base de la Faculté de Médecine, sera porté par l’Institut One Health pour l’Afrique (INOHA), créé par l’arrêté Ministériel N°195/ MINESU/ CABMIN/MNB/BLB/MKK/2023 du 22/03/2023. Les activités de l’INOHA s’articulent autour de la recherche, la formation et l’accompagnement de la mise en œuvre des innovations opérationnelles dans le cadre conceptuel « Une seule santé ».
Le développement de l’INOHA se fera à travers la diversification des partenariats tant au niveau national qu’international et par l’intégration de toutes les plateformes One Health existant au niveau national et international.
L’organisation de ce colloque international One Health est donc une occasion non seulement de présenter l’Institut One Health pour l’Afrique, mais aussi de mettre en place un cadre de réflexion sur notre manière collective de matérialisation des approches One Health à travers des projets réellement intégrateurs et implémentés sur le terrain.
C’est ainsi que nous souhaitons proposer parmi les résolutions de ce colloque de Kinshasa, l’institutionnalisation du « Colloque International One Health » à travers des éditions à organiser tous les deux ans. Cette institutionnalisation nous permettra d’avoir un cadre technique d’accompagnement pour l’implémentation des approches One Health afin de ne pas rester dans des incantations de bonnes intentions à travers des slogans sans contenus.
Pour terminer, après plus d’un demi-siècle d’investissement personnel dans la lutte contre les maladies infectieuses, étant témoins de la dégradation continue et accélérée de nos écosystèmes, de la fragilisation de nos sociétés, j’en suis arrivé à la conclusion que la solution pour nos sociétés ne pourra passer que par une plus grande ouverture à d’autres disciplines, par la diversification des partenariats et le tout dans un cadre où l’amélioration de la gouvernance nationale des institutions devrait enfin devenir la priorité. Le secret de notre résilience collective en tant que société humaine passe par là et j’espère que les générations futures se souviendront de cet appel à l’humilité, à la tolérance et à l’ouverture.
Professeur Jean Jacques MUYEMBE TAM FUM
Directeur Général de l’INRB
Directeur de l’Institut One Health pour l’Afrique.
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